Marchés potentiels
Modélisation de la demande des ménages par secteurs d'activité.
 

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2 Déclin structurel de l'économie française

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Masahiko Aoki

 

Face à l'Asie, l'Occident n'a pas dit son dernier mot.

Dans le Monde du 3 Juillet 2012, l'économiste japonais Masahiko Aoki (né en 1938), professeur à Stanford (Californie), révise les théories classiques du développement en démontrant les interactions entre technologie, démographie et institutions sociopolitiques.

Masahiko Aoki a élaboré une approche originale de la croissance et du développement. qui relativise l'irrésistible ascension de la Chine.

"L'approche classique des économistes anglo-saxons pour décrire les étapes de la croissance repose sur les ruptures technologiques et l'accroissement de la productivité du capital humain qui en découle, en fonction des données démographiques. Mais cela ne permet pas d'expliquer les différentiels de croissance entre certains pays occidentaux et asiatiques, et surtout les différences de rythme auquel ces pays ont franchi les étapes de leur développement."

Pour comprendre cela, M. Aoki privilégie l'approche "institutionnelle" - l'étude des interactions entre les individus, les technologies, les institutions sociales, politiques et normatives. Ce qui le rapproche de l'école "institutionnaliste" européenne, incarnée en France par Robert Boyer.

C'est l'évolution du PIB par habitant, de faible (étape 1) à moyen (étape 2), puis à élevé (étape 3) qui est la meilleure mesure du progrès économique.

 

Etape 1 : Economie agricole, à faible niveau de productivité et faible niveau de vie.

De la prise du pouvoir par les communistes en 1949 à l'arrivée au pouvoir de Deng Xia Ping en 1979, la Chine maoïste a entravé la croissance, en maintenant de force les masses paysannes dans leurs villages et en envoyant à la campagne les jeunes citadins éduqués.

 

Etape 2 : L'industrialisation augmente la productivité, ce qui entraîne un exode rural et une hausse du revenu moyen des populations urbaines.

Le passage d'une économie agricole à une économie industrielle nécessite un Etat fortement organisé. Aux USA et dans les monarchies parlementaires d'Europe, le système politique avait la maturité nécessaire pour organiser le développement industriel dans un cadre démocratique.

Partout ailleurs, les Etats modernes se sont construits à partir de leur organisation militaire et impériale (Empire Français de Napoléon III, Prusse impériale, Japon impérial, prise du pouvoir par les militaires dans de nombreux pays d'Amérique du Sud, d'Asie et d'Afrique) ou sous dictature politique (URSS, Italie Mussolinienne, Allemagne Hitlerienne, Espagne de Franco, Chine communiste).

Un Etat suffisamment fort, gardant sous contrôle la corruption de ses administrations, peut avoir une intervention efficace dans la mobilisation de ressources, l'organisation de l'appareil de production et le financement de la Recherche et Développement. Ce fut le cas du Japon dans les années 50, de la Corée du Sud dans les années 70, de la Chine de Deng Xiao Ping à partir des années 80, du Brésil et de l'Inde dans les années 2000.

Des secteurs comme les trains à grande vitesse, l'aéronautique ou le spatial restent structurellement dépendants du soutien des Etats : NASA et Boïng aux USA, Ariane, Airbus et TGV en Europe, le brésilien Embraer premier fabricant mondial d'avions régionaux. 

 

1776 : Royaume-Uni

Alors que la révolution française plonge le continent dans la guerre de 1789 à 1815, causant en proportion autant de morts que la Première Guerre Mondiale, le Royaume-Uni multiplie les inventions techniques qui donneront naissance à la révolution industrielle.

En 1830, le Royaume-uni compte 15.000 machines à vapeur, contre 3.000 pour la France et 1.000 pour la Prusse (source wikipedia).

1833 : L'Allemagne prussienne crée une union douanière pour développer ses "industries dans l'enfance" 

Suite au choc des victoires militaires de Napoléon Premier au début du siècle, les dirigeants prussiens reprennent les méthodes de l'empereur français pour moderniser leur pays avec une forte culture militaire : réorganisation des administrations, nouveau sens de l'organisation pour optimiser la logistique, généralisation de l'éducation pour améliorer le niveau des militaires.

En Allemagne, Friedrich List retient des enseignements des penseurs libéraux qu'il faut un marché domestique suffisamment large pour construire une puissance industrielle. Cependant, pour protéger cette industrie nationale naissante contre une industrie anglaise plus puissante, Friedrich List recommande une politique protectionniste le temps nécessaire que l'industrie nationale se mette à niveau.   

Friedrich List fonde l'Association générale des industriels et des commerçants allemands ; il milite pour l'union douanière des Etats allemands autour de la Prusse et fonde l'économie politique allemande qui défend le protectionnisme temporaire pour soutenir les " industries dans l'enfance " (Système nationale d'économie politique, 1840).

Après avoir obtenu d'importants territoires au Congrès de Vienne de 1815, la Prusse devint le royaume unificateur des Etats de l'Allemagne du Nord, avec la création d'une zone de libre échange en 1833, le "Zollverin", dotée d'un tarif extérieur commun et excluant l'Autriche.

A partir de ce marché suffisamment important et protégé, la Prusse pu développer son industrie en prenant exemple sur l'Angleterre, grâce aux richesses minières de la Rhur et aux innovations techniques de ses ingénieurs (procédé Bessemer dans la sidérurgie).

Dès le milieu du XIXème siècle, la Prusse est une puissance industrielle largement supérieure à l'Empire Autrichien, qui reste sous-développé à l'exception de quelques régions comme la Bohême, et monte en puissance face à l'Empire Français de Napoléon III.

1850 : France

Sous Napoléon III, la France entre dans la révolution industrielle, mais reste un pays profondément rural, peu éduqué et conservateur.

En 1870, la victoire de la Prusse, contre une France aussi peuplée et dotée d'un armement équivalent, s'explique par une supériorité prussienne dans la logistique, un plus haut niveau de technicité, ayant pour origine un haut niveau de qualification des soldats et officiers prussiens face à des soldats français incultes et des officiers désorganisés, voire corrompus (trafics sur les approvisionnements militaires).

Sous la IIIème République, le retard de la France face à l'Allemagne et le Royaume Uni va encore s'amplifier : en 1880 le Royaume-Uni compte 2 millions de chevaux-vapeurs, l'Allemagne 1,7 millions et la France seulement 500.000. (source Wikipedia)

1880 : USA

Joseph Stiglitz interpréte la crise de 1929 comme le résultat d'une réticence institutionnelle de la société américaine à l'exode rural, qui a réduit la demande de produits industriels et de services urbains.

1905 : Japon Impérial

En 1854, par la politique de la canonière, les USA forcent le Japon à s'ouvrir à l'Occident.

Comme la Prusse suite aux défaites militaires face à Napoléon Premier, le Japon réagit en s'engageant dans la modernité en cherchant à copier, voire surpasser, les méthodes de l'Occident, renouvelant une forte culture militaire historique et créant de nouvelles ambitions impérialistes.

Dès 1905, la victoire maritime de la flotte japonaise sur la flotte russe marque l'entrée du Japon dans le club des pays industriels.

Au cours de la 2ème guerre mondiale, le Japon évince les empires britanniques, français et hollandais du Pacifique, qu'ils occupent en entier, jusqu'à ce que la formidable puissance économique et technologique américaine se transforme en arsenal de guerre et finisse par vaincre l'empire japonnais et occuper son territoire.

Des années 50 aux années 80, l'industrie Japonaise monte en puissance jusqu'à rivaliser avec l'efficacité allemande. Aussi productif que l'Allemagne tout en étant beaucoup plus peuplé, le Japon devient la deuxième puissance économique mondiale.

Entrée plus tard que les pays occidentaux dans la révolution industrielle, la montée en puissance du Japon fut plus rapide jusqu'à l'épuisement de sa croissance depuis les années 90.

Le Japon a été le premier pays industrialisé à avoir épuisé les ressources quantitatives de la croissance : fin de la croissance démographique, fin de l'exode rural vers les villes, épuisement des gains de productivité générés par une optimisation des processus de fabrication et des méthodes de travail.

1943 : URSS

Dès 1917, le pouvoir des bolcheviks se révèle aussi incapable que le pouvoir impérial pour remédier à la misère des peuples qui lui sont soumis. Cependant, par la terreur et la propagande, Staline arrivera à mobiliser les ressources du pays pour se doter d'une puissance militaire considérable. Conscient de la menace à court terme de la montée en puissance de l'armée de Staline, Hitler opta pour une attaque préventive, trahissant sans aucun ultimatum le pacte Germano-Soviétique.

De Juin 1941 à Août 1942 les armées de Hitler submergent les troupes de Staline, jusqu'à ce que l'hivers russe et le sacrifice des soldats soviétiques stoppent l'avance allemande à Stalingrad.

En Juillet 1943, au cours de la plus grande bataille de chars de l'histoire, les chars russes l'emportent sur les Panzers allemands. "L'offensive de Koursk fut la dernière offensive de grande envergure que l'Allemagne put lancer sur le front de l'Est et celle-ci représente le véritable tournant de la guerre à l'Est. Elle démontra que même les meilleures unités de la Wehrmacht commandées par les meilleurs généraux allemands dans des conditions de combat favorables ne pouvaient venir à bout des armées soviétiques qui avaient appris de leurs erreurs et pouvaient vaincre leur adversaire à la régulière même en plein été." (source wikipedia)

Les victoires russes se font au prix de terribles pertes en hommes et en matériels. Mais la machine de guerre mise en place par Staline est capable d'aligner de nouvelles troupes dotées d'un nouveau matériel pour compenser les pertes, alors que les réserves allemandes s'épuisent. Au-delà de l'aide américaine, l'URSS est devenue une très grande puissance militaire et industrielle par elle-même.

1970 : Corée du Sud

 

1980: Chine de Deng Xiaoping

Deng Xiaoping autorise l'essor des entreprises dans les petites villes, et plus tard dans les grandes. "En 20 ans, 200 millions de travailleurs ruraux sont venus s'installer en ville. C'est la plus grande migration sur une période aussi courte dans l'histoire de l'humanité."

Si la Chine a tant tardé à accomplir cette mutation et si elle est ensuite intervenue à un rythme spectaculaire, c'est, selon M. Aoki, pour des raisons institutionnelles. "Contrairement à l'Occident, où l'éclatement institutionnel entre Etats et corps sociaux intermédiaires laissait aux initiatives familiales, privées ou locales, un périmètre de croissance capable d'entrainer l'ensemble, dans la Chine des dynasties impériales, avec ses centaines de milliers de fonctionnaires, l'interpénétration entre Etat et corps intermédiaires était telle que seule l'impulsion de l'Etat a eu ce rôle historique."

Mais la Chine, observe M. Aoki, a atteint le stade où, "le dividende démographique" d'une population active nombreuse et le dividende institutionnel d'une plus grande mobilité s'épuisent - c'est ce qu'il appelle "le piège du revenu moyen", dans lequel s'enlisent les nations, avant de passer au stade du "revenu par tête élevé".

L'épuisement de la croissance au Japon et en Europe

La crise actuelle s'explique, selon M. Aoki, par le même phénomène qu'en 1929. "Le contexte institutionnel - politique, social, culturel - restreint le mouvement des emplois manufacturiers, devenus aujourd'hui redondants avec leurs équivalents créés dans les pays émergents, vers les emplois plus productifs liés aux produits et services de la culture, des loisirs, de l'environnement, de la santé, qui correspondent à la demande de populations vieillissantes."


La décennie perdue du Japon et celle qui s'annonce pour l'Europe correspondent à cette difficile mutation, que les Etats-Unis ont  semble-t-il déjà commencé à relever (économie de la connaissance et des services).

Pour les pays d'Asie du Sud-Est, le défi sera encore plus rude : le vieillissement de leur population suit de peu leur accès au stade du "revenu moyen".

 

Le Japon a connu une croissance fulgurante durant les quatre premières décennies d'après guerre, du début des années 50 à la fin des années 80.

En 1989, les industriels américains dans l'automobile et l'électronique grand public étaient submergés par les industriels Japonais. A Hollywwod, Columbia était racheté par Sony et Paramount par Matsushita. Le Japon ayant dépassé ses modèles occidentaux dans l'optimisation des processus de production et de management, tous les médias prédisaient dans un futur proche le dépassement des USA par le Japon en tant que première puissance économique mondiale.

En réalité, on était à la veille de l'arrêt brutal de la croissance japonaise et c'est en Californie que des étudiants inventaient les nouvelles technologies du 21ème siècle dans le garage de leurs parents.

Le consensus, la discipline, la solidarité d'entreprise qui assuraient un emploie à vie aux salariés ont été des facteurs positifs en période de croissance. Par contre, lorsque la croissance s'est brutalement arrêtée au début des années 90, ils ont bloqué les réformes nécessaires : impossible de réduire les effectifs, impossible d'innover et de changer radicalement de modèle économique en pleine crise, dans des organisations très hiérarchiques où l'ancienneté a priorité sur l'inventivité. Pour se sauver de la faillite, Nissan a du faire appel à un non japonais, le franco-libanais Carlos Ghosn.

 

La Chine connaîtra elle aussi l'épuisement de son modèle de croissance à la fin de la décennie 2010.

Depuis le début des années 80, la Chine continentale connaît le même phénomène de rattrapage économique spectaculaire qu'à connu le Japon dans les décennies d'après guerre. De nouveau, tous les médias prédisent l'arrivée de la Chine au stade de première puissance mondiale dans un avenir proche.

Devenu l'atelier du monde, la Chine a bénéficié des délocalisations industrielles et a accumulé les excédents commerciaux. Mais avec la hausse des salaires en Chine et la hausse du prix du pétrole c'est maintenant la Chine qui commence à subir des délocalisations de ses usines vers le Mexique ou les pays d'Afrique du Nord, plus proches des grands marchés importateurs européens et américain.

Si l'intervention de l'Etat peut être efficace dans une période de forte croissance et d'enrichissement généralisé, par contre elle freine les ajustements nécessaires lorsqu'il faut gérer le recul d'activité de certains secteurs économiques. Ian Bremmer, président d'Eurasia Group et auteur de "The End of the Free Market : Who Wins the War Between Corporations and Sates", soutient que "le capitalisme d'Etat craint la destruction créative pour la même raison qu'il redoute toute forme de destruction échappant à son contrôle".

 

Etape 3: L'innovation et la formation génèrent de nouveaux gains de productivité

Une fois épuisée la croissance purement quantitative de l'étape 2, c'est à dire la période de ratrappage économique au cours de laquelle le pays s'est doté des industries de base et d'infrastructures modernes, la seule solution pour maintenir la croissance du revenu par habitant est d'améliorer la productivité par l'innovation, et la qualité du capital humain par la formation.

M. Aoki observe que "pour la première fois dans l'histoire des Etats-Unis, les prêts de financement des études y ont dépassé les prêts pour l'achat d'une automobile". Il y voit un symptôme du franchissement de la 3ème étape du développement.

A ce stade de développement, ce sont les petites structures qui innovent le plus, alors que les grandes structures sombrent dans le piège de la bureucratisation.

Les Etats-Unis et l'Europe disposent de sociétés de capital-investissement qui peuvent aider les petites entreprises de pointe à percer.

 

Singapour offre un modèle de la façon dont l'Etat peut intervenir dans l'économie sans étouffer la libre initiative. Le gouvernement y repère les secteurs clés pour l'innovation et les technologies futures, aide les petites entreprises à réunir des capitaux de démarrage, s'efforce d'attirer des cerveaux étrangers travaillant dans ces secteurs et utilise les fonds publics pour garantir que les universités mènent des activités de recherche fondamentale qui porteront leurs fruits dans le futur.

Toutes ces stratégies ne nécessitent que peu de fonds publics. Il fut un temps où les Etats-Unis utilisaient eux-même efficacement de tels moyens, avant que le durcissement de la politique d'immigration ne fasse barrage aux travailleurs qualifiés étrangers, que les pouvoirs publics locaux et fédéraux ne spolient les universités pour affecter leurs fonds à d'autres postes et que la seule idée que les pouvoirs publics puissent accompagner l'essor de nouveaux secteurs ne devienne politiquement inadmissible (lire le modèle américian menacé par la haine de l'Etat).

 


source

Le Point - Bloomberg Businesswek - 5 Juillet 2012 : La longue marche vers l'innovation par Joshua Kurlantzick du centre de recherches basé à Washington Council on Foreign Relations pour l'Asie du Sud-Est.

 

 

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