Dès la Révolution de 1789, des penseurs comme Saint-Simon s'étaient inquiétés du risque de toute démocratie de dériver vers l'hyper-individualisme et la perte de sens du bien collectif.
Le débat sur les retraites illustre cette dérive de l'hyper-individualisme de la gauche archaïque française, qui exige que le coût de l'allongement de la durée de vie reste collectivisé par toujours plus de charges sur les entreprises, alors que ses gains restent privatisés au profit des retraités par l'allongement du nombre d'années de retraite.
1 - Rappel historique
La Loi du 5 Avril 1910 institue les premières retraites ouvrières et paysannes à 65 ans. A l'époque, l'espérance de vie étant inférieure à 65 ans, ce premier système de retraite concernait relativement peu de personnes.
L'Ordonnance du 19 Novembre 1945 fixe l'âge de la retraite à taux plein à 65 ans et 37,5 années de cotisations (150 trimestres). L'âge de départ légal à la retraite est fixé à 60 ans et 30 années de cotisations, mais les années ne sont prises en compte qu'à partir de 1930, ce qui fait que le régime de retraite ne montera en puissance qu'au cours des années 1960-1975. Les régimes spéciaux d'avant guerre sont maintenus.
1956 : Création du Fonds national de solidarité pour pallier la faiblesse des pensions. Ce fonds de solidarité est alimenté par la vignette automobile.
Une loi de 1975 permet aux salariés ayant exercé des travaux pénibles de prendre une retraite anticipée dès 60 ans, avec les mêmes droits que s'ils en avaient eu 65.
L'Ordonance du 26 Mars 1982 fixe l'âge de la retraite à 60 ans, à partir du 1e Avril 1983. La pension complète, égale à 50 % du salaire annuel moyen des 10 meilleures années, nécessite 37,5 années de cotisations. La retraite à taux plein est garantie à partir de 65 ans.
"Entre 1982 et 2012, l'espérance de vie des français a progressé de 6 ans, allongeant la retraite d'autant. En avançant le départ à la retraite de 5 ans, Pierre Mauroy a généré 11 nouvelles années de retraites impossibles à financer, ce qui a conduit à creuser le déficit, et à faire de la France l'un des pays où les transferts des jeunes vers les seniors sont les plus élevés au monde, avec l'Italie et le japon. La conquête sociale de Pierre Mauroy a été financée à crédit et a accru l'inégalité entre les générations."- source François Lenglet dans Le Point 2126 - 13 Juin 2013
Réforme Balladur de 1993
- La pension des retraités du régime général (salariés du privé) est calculée sur les 25 meilleures années (au lieu de 10)
- 40 années de cotisations (160 trimestres), au lieu de 37,5 années (150 trimestres).
- Les pensions de retraites sont indexées sur le coût de la vie et non sur les salaires comme auparavant.
Echec de la réforme Juppé en Décembre 1995 : Les bénéficiaires des régimes spéciaux (RATP, SNCF) font échouer par la grève l'extension de la réforme du régime général à la fonction publique qui ne les concerne pas. La réforme Juppé échoue, mais pour la première fois, les grévistes de la fonction publique n'auront pas l'intégralité de leurs jours de grèves payés par l'administration et subiront une légère retenue sur salaires les mois suivants. Les bénéficiaires des régimes spéciaux n'étant plus payés à faire grève perdent leur capacité à faire échouer toute tentative de réformes.
1997-2002 : Croissance économique et reflux du nombre de retraités (peu de naissances entre 1939 et 1942). Le gouvernement Jospin ne réforme pas.
Loi Fillon du 21 Août 2003
- La réforme Balladur de 1993 est étendue à la fonction publique. Les pensions de retraites des fonctionnaires sont indexées sur le coût de la vie et non sur les salaires comme auparavant. Le temps de cotisation des fonctionnaires est progressivement porté à 40 ans en 2008.
- La durée de cotisation est prolongée de façon progressive pour l'ensemble des salariés : 41 ans (164 trimestres) en 2012, jusqu'à 41,5 ans (166 trimestres) en 2020.
- La loi prévoit qu'à l'avenir la durée de cotisations évoluera avec l'espérance de vie.
La CFDT obtient que les salariés ayant commencé entre 14 et 16 ans puissent partir avant 60 ans s'ils ont cotisé 43,5 années (c'est à dire que quelqu'un qui aura toujours travaillé depuis ses 14 ans pourra prendre sa retraite à 57,5 ans) .
Réforme des régimes spéciaux 2007
La durée de cotisation des régimes spéciaux sera alignée, mais seulement à partir de 2017. Pour faire accepter cette réforme, d'importantes concessions sont accordées aux régimes spéciaux, ce qui fait qu'elle se traduit par un coût supplémentaire pour la collectivité pendant 10 ans, de 2007 à 2017.
Le Conseil d'Orientation des Retraites prévoit un déficit de 30 MD € à l'horizon 2020 avant réforme.
Le report de l'âge de la retraite de 60 à 62 ans génère un peu plus de 20 MD €. La réforme de 2010 met fin aux retraites anticipées au bout de 15 ans d'activité pour les parents de 3 enfants
Les aménagements de 2013
De simples ajustements pour colmater les dérives du système actuel.
- hausse des cotisations sociales (+0,15 point en 2014, puis +0,05 par an jusqu'en 2017)
- légère ponction sur les pensions
- allongement de la durée de cotisation jusqu'à 43 années (172 trimestres) d'activité après 2020.
- revalorisation des pensions repoussée de 6 mois
- mesures corrigeants des "injustices"
- mise en place en 2015 d'un "compte pénibilité"
- meilleure prise en compte des périodes de congé maternité, de chômage et de formation
- aide au rachat de trimestres pour les jeunes
Ces aménagements du système de retraite ne font que repousser les problèmes dans le temps, sans résoudre les problèmes structurels du déficit :
- Ces mesures ne concernent que le régime général, qui ne représentent qu'un tiers du déficit. pour le reste, rien n'est financé.
- Pas de système de comptes personnalisés à points.
- Pas d'unification de la quarantaine des différents régimes existants.
- Pas d'alignement du mode de calcul des retraites du public sur le privé.
- Pas de réforme des régimes des fonctionnaires et des régimes spéciaux (SNCF, RATP, EDF, GDF...), dont les déficits restent à la charge du contribuable.
- Pas d'alignement de la CSG des retraités sur les actifs.
- Ne relève pas l'âge de départ à la retraite.
- Les annuités supplémentaires sont repoussées à 2020.
2 - Déficit croissant des régimes de retraite.
La crise financière de 2008 a eu un impact négatif sur la masse salariale (hausse du chômage, moins d'augmentations de salaires), donc sur les cotisations de retraites.
Avec l'arrivée de la génération du baby boom à la retraite, le montant des pensions explose.
Ceci génère un déficit croissant du régime des retraites, véritable spoliation des générations futures.
Solde financier des régimes de retraite en France
Annnée |
Prévisions 2013 |
2011 |
-13,2 MD € |
2020 |
-21,3 MD € |
2030 |
-38,1 MD € |
2040 |
-48,9 MD € |
2050 |
-53,5 MD € |
2060 |
-60,7 MD € |
Source : COR (tous régimes)
3 - Taux de dépendance des retraités
|
ratio
cotisants / retraités
|
ratio
20-59 ans / plus 60 ans
|
|
|
prévisions 2013
|
1960 |
4,0 |
|
1970 |
2,5 |
|
2010 |
|
2,32 |
2020 |
|
1,89 |
2030 |
|
1,61 |
2040 |
|
1,52 |
2050 |
|
1,45 |
2060 |
|
1,43 |
source : Eurostat
Explosion du nombre de retraités : Depuis 2005, les générations nombreuses du baby-boom arrivent à la retraite. Grâce à l'allongement de l'espérance de vie, ces retraités vivront plus longtemps.
Ralentissement du nombre de cotisants : Depuis la fin des années 90, les générations peu nombreuses nées depuis la baisse de la natalité arrivent sur le marché du travail.
Il faudra attendre 2040, avec l'arrivée à la retraite des premières générations peu nombreuses nées depuis la baisse de la natalité, pour que la pression de la hausse du nombre de retraités se fasse moins forte.
Dans le monde, ce sont les Français qui partent le plus tôt à la retraite.
Age légal du départ à la retraite
Age |
2013 |
2017 |
2029 |
2046 |
France |
60 ans |
62 ans |
|
|
Italie femmes |
60 ans |
|
|
|
Italie hommes |
65 ans |
|
|
|
Espagne |
65 ans |
|
|
|
Royaume-Uni |
65 ans |
|
|
68 ans |
Allemagne |
65 ans |
|
67 ans |
|
Suède |
61 à 67 ans |
|
|
|
USA |
67 ans |
|
|
|
La France, comme les autres pays latins, privilégie les pensions de retraites par rapport au travail.
Pensions retraites en % dernier salaire
|
|
Italie |
81,5 % |
Espagne |
80,1 % |
France |
71,4 % |
Allemagne |
57,1 % |
Royaume-Uni |
41,8 % |
niveau de vie des retraités en % niveau de vie des actifs
France |
96 % |
Danemark |
72 % |
Dans les pays de culture catholique, le travail n'est pas vu comme une valeur positive, mais comme une souffrance. Dans ces pays, les retraités vivent mieux que les actifs qui financent leurs pensions de retraites.
Les déficits des régimes de retraites sont financés par la dette, c'est à dire en reportant le coût des pensions d'aujourd'hui sur les futures générations. Ce modèle culturel et économique s'est déjà effondré en Italie et en Espagne avec la crise des dettes souveraines de 2010. Maintenant que ces pays ont réformé leurs systèmes sociaux pour sortir de la crise, c'est la France qui devient le pays malade de l'Europe.
4 - Financement des retraites
Le système par points de la Suède
- Permet chaque fois que l'espérance de vie progresse d'allonger la durée de cotisations, sans avoir l'effet brutal ds réformes françaises.
- Prise en compte de la pénibilité des métiers à la situation de chacun.
- Permet à chacun de rester dans la vie active s'il le souhaite (l'un des plus grand chercheur en médecine au monde a été obligé de poursuivre ses recherches aux USA après 65 ans, car il n'avait plus le droit de le faire en France !!!)
5 - Le véritable enjeu social d'aujourd'hui est la politique de santé.
Pour le sociologue Jean Viard, le clivage gauche-droite repose encore essentiellement sur la question sociale et une vision de la société du XIXème siècle. D'où le décalage entre la vie des Français et le débat politique.
En 2013, le travail n'occupe plus que 12 % de la vie d'un Français, contre 40 % en 1789.
"Les Danois sont aptes au travail jusqu'à 70 ans grâce à une politique de santé innovante.....En France, plutôt que de revendiquer une autre politique de santé, nombreux sont ceux qui revendiquent la retraite à 60 ans".
La France dans le monde qui vient - Jean Viard - Ed L'Aube - 274 p - 15,80 €.
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