Le défi des 4 nouvelles modernisations [1]
Selon Nicolas Baverez, 30 années de forte croissance ont fait de la Chine une nouvelle grande puissance internationale, tout en la fragilisant à l'intérieur. Pour consolider le réveil de la Chine, amorcé en 1978 par Deng Xiaoping, les dirigeants chinois doivent aller de l'avant et relever le défi de 4 nouvelles modernisations :
1- Trouver un nouveau modèle de développement
L'ère de l'hypercroissance de l'usine du monde chinoise exportant vers les pays développés surendettés arrive à sa fin. Il faut désormais réorienter l'activité vers la consommation intérieure d'un pays en voie de vieillissement.
La production doit remonter la chaîne de la valeur ajoutée pour absorber la hausse des salaires de 20 % par an depuis 2008.
Les bulles spéculatives sur l'immobilier (65 millions de logements vacants) et sur l'investissement sont sur le point d'éclater, mettant en danger un secteur bancaire croulant sous les créances douteuses.
Le contrôle par l'Etat de l'économie apparaît désormais incompatible avec un développement plus qualitatif, plus innovant et plus respectueux de l'environnement.
1978-2011 : La Chine devient l'atelier du monde :
De très faibles salaires et une monnaie sous-évaluée permettent à la Chine de devenir l'atelier du monde. Les exportations et l'investissement dans les capacités de production sont les moteurs de la croissance.
Depuis 2012 : la construction devient le nouveau moteur de la croissance économique
Avec la hausse des salaires, de l'inflation et la revalorisation de la monnaie chinoise, la compétitivité de la Chine se dégrade : les coûts salariaux atteignent 65 % du niveau américain.
La montée en gamme de la production n'a pas eu lieu : un téléphone est fabriqué avec 85 % d'éléments importés.
Les usines se délocalisent de nouveau vers l'Asie du Sud-Est : un ouvrier du textile est payé 50 cents au Vietnam, contre 7 $ en Chine. L'excédent commercial de la Chine devrait diminuer dans les années à venir
En 2013, la construction représente 80 % de la hausse annuelle du PIB. C'est une croissance qui consomme moins de matières premières que l'industrie exportatrice, mais très polluante.
A l'inverse de la Corée du Sud, l'industrie chinoise n'est pas montée en gamme, ce qui va limiter la hausse des salaires. Avec le vieillissement de la population, la croissance potentielle dans les années 2020 pourrait être ramenée à 3 % et le PIB de la Chine cessera de rattraper celui des USA.
2- Instaurer un Etat de droit qui laisse s'épanouir la société civile
La montée des nouvelles classes moyennes, urbaines, éduquées et ouvertes sur le monde, se traduit par une contestation de l'autocratie, de la corruption et de l'irresponsabilité des organes de l'Etat (catastrophe du TGV Chinois).
L'insécurité juridique incite à l'exil les entrepreneurs.
Faute de réformes pour instaurer un Etat de droit, l'arsenal répressif des dirigeants chinois pour étouffer les nouvelles aspirations des classes moyennes fragilise le pouvoir, alimentant le risque de révolte sociale à l'exemple du "printemps arabe".
3- Instaurer un début de pluralisme politique
La concurrence et l'ouverture indispensable à la poursuite du développement gagneront inévitablement la sphère politique, avec une exigence de pluralisme, prudemment expérimenté lors des élections de Hongkong.
4- Assumer les responsabilités d'une grande puissance mondiale
Devenue deuxième économie mondiale, la Chine doit désormais assume des responsabilités qui vont au-delà de la simple défense de l'intérêt national : convertibilité du Yuan, ouverture de son économie, prolifération nucléaire.
Depuis le début des années 1980, pendant 3 décennies, le parti communiste a pu moderniser la Chine par des ajustements progressifs de son modèle, en encourageant la croissance économique et le regain de fierté nationale.
Mais dans les années 2010, la poursuite du miracle chinois exige une phase à plus hauts risques d'un changement de nature du régime, avec un grand bond en avant dans la libéralisation économique et politique du pays.
La Chine approche du "tournant de Lewis"
Arthur Lewis (1915-1991), prix Nobel d'économie, a décrit dans ses travaux le moment critique, dans le développement d'un pays, où la diminution du surplus de main-d'oeuvre se traduit par une hausse des salaires, des prix et de l'inflation.
Selon Dong Tao, économiste en chef pour la région Asie hors Japon chez Credit Suisse à Hong-Kong, c'est en 2014 que la demande de main-d'oeuvre en Chine devrait devenir supérieure à l'offre.
Pour Li Wei, économiste chez Standard Chartered à Shanghaï, la Chine a déjà atteint le "tournant de Lewis" en 2010 et la hausse des salaires va se poursuivre.
Le développement économique, concentré depuis le début des années 90 sur la côte Pacifique, gagne les régions intérieures. Des villes comme Chongqing deviennent des centres de production en concurrence avec les usines côtières pour trouver de la main-d'oeuvre. Les travailleurs migrants retournent chez eux, ce qui obliqe les employeurs de la côte à augmenter fortement les salaires pour retenir leurs employés.
Salaire moyen mensuel en 2009, selon la Japan External Trade Organization
Yokohama (Japon) |
3.099 $ |
Séoul (Corée du Sud) |
1.220 $ |
Taipei (Taïwan) |
888 $ |
Shenzhen (côte Sud) |
235 $ |
Shenyang (Nord-est) |
197 $ |
Jakarta (Indonésie) |
148 $ |
Hô Chi Min - Ville (Vietnam) |
100 $ |
Dacca (Bangladesh) |
47 $ |
François Lenglet - Le Point - 5 Avril 2018 - page 154
L'essentiel de la ressource humaine rurale mobilisable a té utilisée. Conséquence, que l'on observe depuis 18 à 24 mois en Chine, les salaires augmentent : pour attirer les salariés, les employeurs sont obligés de monter leurs prix; ce qui n'avait pas été le cas dans les dernières décennies. ; c'est ce qu'on appelle le "tournant de Lewis", du nom d'Arthur Lewis, un économiste du développement récompensé par le prix Nobel, qui avait formalisé ce moment bien particulier qu'ont connu bon nombre de pays émergents. Un tournant à partir duquel l'économie se transforme, sous l'effet de l'augmentation des prix relatifs du travail, à cause de la fin des migrations vers les villes.
La compétitivité s'érode, et déjà les usines textiles ou de chaussures de sport quittent le pays. La Chine est victime, à son tour, des délocalisations pour raison de coût.... C'est l'histoire de l'arroseur arrosé. La croissance, qui a déjà été divisée par deux par rapport aux années 1990, va tomber progressivement jusqu'à 3 % par an, pronostiquent certains experts comme Michael Pettis, de Carnegie Endowment for International Peace. Et sa composition devrait se transformer. Fini la part du lion pour l'immobilier, les infrastructures et la production d'acier., qui vont être remplacés par les produits de consommation et les services, la finance et la santé en particulier.
|
Les moteurs de la croissance chinoise s'essoufflent
La Chine perd peu à peu les atouts qui lui ont permis de connaître une folle croissance durant les années 90 et 2000, affirme le président de la Banque Mondiale, Robert Zoellick, dans une tribune publiée par le Financial Times. "Les moteurs de l'émergence fulgurante de la Chine sont en train de s'essouffler" écrit-il, citant pêle-mêle :
- les limites d'une industrie qui a conquis presque tous les secteurs
- la réduction des gains de productivité
- les perspectives étroites des productions à faible valeur ajoutée
- le vieillissement de la population
En devenant l'atelier du monde, la Chine a contribué au faible niveau d'inflation mondiale au cours des années 2000.
Cette période des très faibles salaires chinois est terminée. Certaines industries, à commencer par le textile, commencent à se délocaliser vers des pays à plus bas salaires (Inde, Bangladesh, Vietnam....), mais elles perdront en qualité et en productivité.
Les petits dragons asiatiques (Thaïlande, Indonésie, Malaisie, Philippines), fortement concurencés par la montée en puissance de l'industrie chinoise, ont retrouvé leur compétitivité depuis la crise financière asiatique de 1997. En 2010, le coût de la main d'oeuvre en $ dans les pays d'Asie-du-Sud-Est est quasiment au même niveau qu'en 1995, alors qu'ils ont explosé dans les régions industrialisée de la côte chinoise.
La période de la baisse des prix du textile et des produits électroniques se termine. La très forte croissance chinoise alimentée par les exportations va faire place à une croissance alimentée par le marché intérieur.
Avec l'émergence d'une importante classe moyenne avide de produits de consommation, les entreprises occidentales investissent en Chine non plus seulement pour son avantage compétitif, mais aussi pour bénéficier de la formidable croissance de son marché intérieur, en passe de devenir le premier marché mondial (téléphonie, automobile, TGV....)
La Chine, qui est déjà devenue la 2eme économie mondiale en 2010, rattrapera un jour les USA, mais beaucoup plus tard qu'on ne le dit en extrapolant les taux de croissances des 20 dernières années. En effet, de part sa taille, plus l'économie chinoise progresse, plus elle exerce une pression sur les coûts des ressources en matières premières au niveau mondial. La Chine deviendra un pays vieux avant d'être riche et dès les années 2020 le vieillissement de la population sera un frein à la poursuite de la montée en puissance de la Chine.
La population active chinoise a baissé pour la première fois en 2012 [2]
En 2012, la Chine comptait 937 millions d'actifs, soit 3,5 millions de moins qu'en 2011.
Cette baisse de la population active chinoise va augmenter la pression à la hausse des salaires.
Françoid Lenglet - Le Point - 5 Avril 2018 - page 154
Pour la première fois en 2015, la Chine a vu sa population active diminuer. très légèrement, certes, puisqu'il ne s'agit que d'un recul de 3 millions d'individus sur un total de 950 millions en âge de travailler. Le pays commence à vieillir : la population entre 15 et 64 ans a atteint son plus haut niveau en 2013. ELa population active va donc continuer à chuter, fortement même, dans les années qui viennent.t ce n'est pas près de revenir, car le nombre de naissances chute inexorablement.
il y a trente ans, il naissait 25 millions d'enfants par an. C'est 16 millions aujourd'hui.
|
Une économie qui a pour moteur le sur-investissement.
Depuis la crise de 2008, les marchés occidentaux s'essoufflent.
La Chine, pour maintenir un taux de croissance supérieur à sur-investit dans des usines, des aéroports et des villes nouvelles.
L'investissement compte pour plus de la moitié du PIB et a généré une montagne de dettes de plus en plus difficiles à rembourser.
Les menaces qui pèsent sur la Chine
1- Les dégâts écologiques
2- Le "shadow banking"
Suite à la crise de 2008, le gouvernement chinois a sommé les banques d'Etat d'inonder d'argent frais les grands conglomérats. Privées de financements publics, les entreprises privées ont du se tourner vers un système parallèle, le shadow banking, échappant à toute règle et à tout contrôle, infiltré par les mafias. Captant l'épargne des ménages par des taux d'intérêts élevés, le shadow bangking représente près de 45 % des financements des entreprises privées, dont beaucoup d'investissements non rentables, constituant un système Madoff à la taille de la Chine.
3- Des surcapacités de production
La faillite de Suntech, le leader mondial des panneaux solaires, au printemps 2013 est un signe précurseur des fallites qui s'annoncent dans l'immobilier, le BTP et de nombreux secteurs industriels.
4 - Des inégalités sociales explosives
La Chine communiste de 2013 est le pays le plus inégalitaire de la planète.
5 Les collectivités locales très endettées.
Les collectivités locales se sont très endettées pour financer des projets non rentables. Dès que la croissance ralentira elles seront dans l'incapacité de rembourser leurs dettes. Très peu capitalisées les banques chinoises risque de devenir le nouveau Lehman Brothers.0
6 - Le spectre du payboom
En 2050, la Chine comptera 450 millions de seniors de plus de 60 ans.
Les systèmes de retraite sont presque tous défaillants, les gouvernements locaux ayant puisé dans les fonds de pension pour financer dans l'urgence les retraites des salariés écartés du marché d travail bien avant l'âge légal.
Le nombre de Chinois âgés de 25 à 35 ans dans les campagnes a été divisé par deux en 10 ans.
Source : L'expansion Juillet-Août 2013 - Ces six péris chinois qui menacent - Béatrice Mathieu
sources :
[1] Le Monde Eco & Entreprise du 17 Avril 2012 - Nicolas Baverez
Le Point Bloomberg Businessweek - 10 Mars 2011
Economist Intelligence Unit dans Challenge n° 224 du 16 Septembre 2010
Le Monde 3 Septembre 2011
[2] Challenges n° 329 - 24 Janvier 2013
Supprimer les publicités sur ce site pendant 1 an